Témoignage de prof.

Lundi 17 novembre 2008, 10 H 30,

Ecole des Métiers du Gers. Descente musclée de la gendarmerie dans les classes. Je fais cours quand, tout à coup, sans prévenir, font irruption dans le lieu clos de mon travail 4 gendarmes décidés, accompagnés d'un maître-chien affublé de son animal. Personne ne dit bonjour, personne ne se présente. Sans préambule, le chien est lancé à travers la classe. Les élèves sont extrêmement surpris. Je pose des questions aux intrus, demande comment une telle démarche en ce lieu est possible. On ne me répond pas, j'insiste, on me fait comprendre qu'il vaut mieux que je me taise. Les jeunes sont choqués, l'ambiance est lourde, menaçante, j'ouvre une fenêtre qu'un gendarme, sans rien dire, referme immédiatement, péremptoirement. Le chien court partout, mord le sac d'un jeune à qui l'on demande de sortir, le chien bave sur les jambes d'un autre terrorisé, sur des casquettes, sur des vêtements. La bête semble détecter un produit suspect dans une poche, et là encore on demande à l'élève de sortir. Je veux intervenir une nouvelle fois, on m'impose le silence. Des sacs sont vidés dans le couloir, on fait ouvrir les portefeuilles, des allusions d'une ironie douteuse fusent. Ces intrusions auront lieu dans plus de dix classes et dureront plus d'une heure. Une trentaine d'élèves suspects sont envoyés dans une salle pour compléter la fouille. Certains sont obligés de se déchausser et d'enlever leurs chaussettes, l'un d'eux se retrouve en caleçon. Parmi les jeunes, il y a des mineurs. Dans une classe de BTS, le chien fait voler un sac, l'élève en ressort un ordinateur endommagé, on lui dit en riant qu'il peut toujours porter plainte. Ailleurs (atelier de menuiserie charpente), on aligne les élèves devant le tableau. Aux dires des jeunes et du prof, le maître-chien lance : « Si vous bougez, il vous bouffe une artère et vous vous retrouvez à l'hosto ! »

Il y a des allées et venues incessantes dans les couloirs, une grande agitation, je vois un gendarme en poste devant les classes. J'apprendrais par la suite qu'aucun évènement particulier dans l'établissement ne justifiait une telle descente. La stupeur, l'effroi ont gagné les élèves. On leur dira le lendemain, dans les jours qui suivent qu'ils dramatisent. Ils m'interrogent une fois la troupe partie, je ne sais que dire, je reste sans voix. Aucune explication de la direction pour le moins très complaisante. Je comprends comment des gens ont pu jadis se laisser rafler et conduire à l'abattoir sans réagir : l'effet surprise laisse sans voix, l'effet surprise, indispensable pour mener à bien une action efficace, scie les jambes. Ensuite, dans la journée, je m'étonne de ne lire l'indignation que sur le visage de quelques collègues. On se sent un peu seul au bout du compte. Certains ont même trouvé l'intervention normale, d'autres souhaitable. Je me dis qu'en 50 ans (dont 20 comme prof), je n'ai jamais vu ça. Que les choses empirent ces derniers temps, que des territoires jusque là protégés subissent l'assaut d'une idéologie dure. Ce qui m'a frappé, au-delà de l'aspect légal ou illégal de la démarche, c'est l'attitude des gendarmes : impolis, désagréables, menaçants, ironiques, agressifs, méprisants, sortant d'une classe de BTS froid climatisation en disant : « Salut les filles ! » alors que, bien sûr il n'y a que des garçons, les félicitant d'avoir bien « caché leur came et abusé leur chien ». A vrai dire des marlous, de vrais durs n'auraient pas agi autrement. C'est en France, dans une école, en 2008. Je me dis que ces gens-là, les gendarmes, devraient accompagner les gens, les soutenir, qu'ils devraient être des guides lucides et conscients. Au lieu de ça, investis d'un drôle de pouvoir, ils débarquent, on dirait des cow-boys, et terrorisent les jeunes.

Un professeur qui ne manque jamais de faire contre la drogue une prévention qu'il juge intelligente.

Mercredi 19 novembre 2008

Hier, mardi 18, j'avais envoyé le récit des événements à France Inter. Le message est passé à quinze heures et des centaines de milliers de gens ont pu l'entendre. Beaucoup me font savoir qu'ils sont scandalisés par ce qui est arrivé. Je repense à l'attitude des forces de l'ordre et j'ai dans la tête peut-être une image d'Epinal, celle de mon grand-père gendarme à Moissac dans les années cinquante, gendarme à cheval au début de sa carrière. J'avais de l'admiration pour cet homme qui représentait pour moi le calme et la pondération. Il incarnait l'idée que l'on se fait, que l'on voudrait se faire de la gendarmerie : bienveillance, correction. Je crois que c'est encore le cas, je l'espère, mais je constate qu'aujourd'hui ce corps est nerveux, anxieux, qu'il y a des dérapages. Le moins que l'on pourrait espérer c'est que les représentants de l'ordre gardent le contrôle d'eux-mêmes.

Il s'est passé la même chose au collège de Marciac cette semaine. Ma fille (13ans) inscrite en quatrième m'a dit que des gendarmes avaient fait irruption dans leur cours demandant aux élèves de mettre leurs sacs bien en vue dans la rangée sans toucher à quoi que ce soit dedans. Ils ont ensuite demandé à chacun de poser leurs mains bien en vue sur les tables et de ne surtout pas bouger à cause du chien qui pouvait être dangereux. Le chien est ensuite passé dans les rangées pour renifler les sacs. Seule chose amusante, c'est qu'il s'est excité sur le sac d'une petite fille qui contenait des gâteaux et des bonbons. Mais chose tracassante, la petite fille a été obligée de vider tout son cartable devant la classe et s'est sentie fort humiliée, car la démarche même de ses gendarmes l'ont faite se sentir coupable de quelque chose. C'est minable et déplorable. Et ce qu'il est le plus, c'est que je pense que l'on va de plus en plus assister à ce genre de pratiques dictatoriales.