LIEUX DE VIE
ET
DÉMOCRATIE

Dans les Landes, la situation des lieux de vie a été restructurée en 1989, et a complètement changé le paysage des lieux, et les relations entre les lieux eux-mêmes.

La reconnaissance par la Solidarité Départementale, rattachée au Conseil Général des Landes, passe par le chemin obligé du cadre administratif unique instauré par la Direction Départementale de la Solidarité des Landes ; la D.S.D.

Cette situation paraît, à première vue, le fruit de la bonne volonté de quelques acteurs administratifs de la DSD des Landes, devant les résultats éducatifs obtenus par les lieux de vie, et leur souci de doter les lieux de vie d'un cadre départemental favorisant leur action. Un pas important vers la reconnaissance.

Le premier lieu de vie (pour mineurs) a été créé dans les Landes en décembre 1980, au journal officiel du 19 décembre de cette même année. Il a été férocement combattu par, à l'époque, la Direction Départementale de l'Action Sanitaire et Sociale, la D.D.A.S.S. des Landes, sous l'autorité de Monsieur Jean Anciaux, alors, Préfet des Landes. La Cour d'Appel de Paris, par son arrêté du 7 juillet 1981, a prononcé la poursuite de l'action éducative entreprise dans le lieu de vie, contre le Préfet, et contre le Ministère Public qui avaient tous deux interjeté appel à la décision du juge pour enfants concerné.

Depuis cette date, jusqu'à nos jours, la création de lieux de vie s'est échelonnée, sous les actions de longue haleine menées par les promoteurs de lieux dans les Landes. Preuve a été faite du caractère constructif de l'action éducative des lieux de vie, par les faits. Des rapports déposés dans les archives des lieux, des administrations, de la justice, en attestent encore.

Il paraît donc logique et légitime que l'administration déclare offrir un cadre et des facilités à cette activité. Mais il est extrêmement intéressant d'observer en détail comment elle procède en matière de démocratie.

La loi du 22 juillet 1983 posait le principe du transfert au département de compétences en matière d'action sanitaire et sociale. La définition d'un schéma départemental des établissements et services prévue par cette loi, faisait obligation de concertation entre l'ensemble des partenaires départementaux pour définir le contenu et les orientations de la politique départementale.

Dans ce cadre, le Conseil Général des Landes a décidé de confier aux techniciens de l'Institut du Travail de Bordeaux la mission consistant à effectuer une étude préliminaire du schéma départemental.

Les travaux d'étude et de rapport ont été effectué avec sérieux par les membres de cet organisme technique dépourvu d'intérêts parasitaires risquant de fausser les observations.

Le rapport est paru en février 1986 sous les presses de l'imprimerie départementale et soulignait, à juste titre, à propos des lieux de vie :

« Déterminer un statut unique applicable à tous les lieux n'apparaît pas nécessairement comme la solution la meilleure. On peut imaginer ainsi la conclusion de contrats propres à chaque lieu de vie en fonction de ses caractéristiques et de ses spécificités. Ainsi, une telle formule permettrait de conserver une souplesse certaine et nécessaire à la poursuite même des actions menées.

En conséquence, le dispositif d'accueil dans le domaine de l'enfance et de l'adolescence présenterait un large éventail de possibilités, un choix plus large, garantissant par là même, une meilleure couverture des besoins. »

Lors de sa séance du 14 décembre 1987, l'assemblée du Conseil Général des Landes votait l'orientation n° 5 de sa politique départementale en faveur de l'enfance :

« La protection de l'enfance nécessite aujourd'hui, une diversification des types de prise en charge.
C'est ainsi que la création de lieux de vie doit être encouragée.
Ces lieux permettent d'accueillir des enfants dans une structure plus souple qu'un établissement classique et avec un projet plus individualisé.
Cependant, l'agrément "lieux de vie" ne pourra être délivré qu'au terme d'une période d'essai qui permettra d'apprécier les qualités et les particularités du lieu et ainsi, aidera les permanents à mieux mesurer la dimension de leur engagement.
Un statut sera élaboré dans un cadre conventionnel qui fixera les droits et obligations de chacune des parties.
»

Le 8 décembre 1986, Francis Lacoste de la DSD invitait quelques lieux de vie à une première réunion de concertation sur les problèmes de l'enfance dans le cadre du schéma départemental des établissements et services. Plusieurs lieux de vie, pourtant agréés selon les termes de la circulaire de Georgina Dufoix du 27 janvier 1983 ont été curieusement oubliés à propos de cette concertation !

Ceux-ci se sont donc rappelés à la mémoire de la DSD des Landes en s'étonnant de l'oubli. Et ont été invités pour la deuxième réunion de "concertation" du 9 février 1987.

A ce stade, apparaissaient déjà deux interrogations sur la sincère volonté de la part de la DSD à mener une véritable concertation avec les lieux de vie des Landes.

L'orientation n° 5 reflète déjà ce que seront les textes définitifs, et l'oubli d'une grande proportion de lieux de vie démasque déjà l'utilité de la "concertation" comme "alibi démocratique" à une décision déjà prise.

La procédure de "concertation" s'est étalée de décembre 1986 à mi-1989. Certes, la problématique des lieux de vie ne représente qu'une petite préoccupation au regard des autres éléments de la Solidarité Départementale des Landes.

Toutefois, un problème stratégique était posé à la DSD :
Comment parvenir à faire passer à travers la "concertation", son projet administratif de statut départemental, en fait, déjà élaboré avant toute concertation, en présence en particulier, de lieux de vie invités, mais non désirés ?

Et sans risquer de voir dénaturé ce projet de statut par l'effet d'une véritable concertation ?

Autrement dit, faire passer son projet administratif, sans la moindre intention de tenir compte des propositions fondamentales des lieux de vie eux-mêmes.

Tout en donnant l'impression, tant aux intéressés eux-mêmes, qu'à l'opinion publique départementale susceptible de s'intéresser à la question, d'avoir instaurer un processus de concertation démocratique.

Pas simple ? Mais, si ! Rien n'est impossible à qui veut. La preuve ? Comparez le document : "Les lieux d'accueil des Landes - Propositions pour une convention en 89 pages, et sur lequel les lieux de vie des Landes eux-mêmes ont planché, les pauvres bougres, ont transpiré pour se définir individuellement et collectivement, et comparez donc, avec les deux documents définitifs "agrément et convention pour les lieux de vie des Landes" élaborés par la DSD, après la pseudo-concertation ! (Documents tenus à votre disposition pour consultation pour ceux qui seraient encore sceptiques).

Le tour de magie a réussi ! Et les spectateurs n'y ont vu que du feu. C'est fort, non ?

Il faut bien reconnaître que les élus de gauche, défenseurs du peuple, des travailleurs, des chômeurs, des précaires, des exclus, (disent-ils), sont très forts dans l'art de duper les petits. (Un peu moins forts envers les patrons, l'armée et l'extrême-droite !).

Il faut bien mettre à leur actif qu'en la matière, les élus de gauche sont plus habiles que les élus de droite avec leurs gros sabots, et qui les précédaient.

Quand à leurs administrations, maintenant bien installées, elles se montrent dévouées pour exécuter la besogne, tant il est vrai qu'un emploi publique convenablement rémunéré comporte les avantages d'une sécurité de l'emploi (tant que l'élu se maintient ! Quoique certains mangent à tous les râteliers.) et d'un confort matériel non négligeable. On ne va tout de même pas cracher sur ces quelques avantages dans un pays qui comprend deux millions de chômeurs ?

Certes, la DSD a été aidée, et il était opportun d'utiliser l'aubaine :

Imaginez donc, qu'il s'est trouvé, au sein des lieux de vie des Landes, un lieu de vie, (le seul et unique à avoir demandé et à avoir réussi à être subventionné par le Conseil Général dès sa création : 10 000 Fr.) qui comprend à sa direction des adhérents du même parti de gauche que celui qui tient l'assemblée départementale.

Quoi de plus naturel, me direz-vous ? Chaque citoyen a droit d'avoir ses opinions !

Tout-à-fait ! Mais, avouez que la tâche a tout de même été simplifiée ! Pour agir au sein du réseau des lieux de vie des Landes, au cours de leurs réunions de travail ! Fait non négligeable, d'autant qu'il s'est avéré efficace.

Pour être bien sûr d'avoir la paix, l'administration a utilisé l'arme habituelle et efficace :

"Diviser pour régner."

C'est tellement connu. Eh bien, figurez-vous que ça marche encore ! Si, si ! ...

Négocier, individuellement avec chaque lieu, le prix de journée qui sera versé par les fonds publics départementaux pour l'accueil éducatif d'un enfant.

Voyez-vous jusqu'où vont les innovations ? Eh ! innover, c'est se montrer moderne !

Ainsi, chaque lieu n'a qu'à bien se tenir, s'il veut voir chaque année son prix de journée simplement maintenu ...

... Et à se montrer au moins aussi satisfaisant pour l'administration que les lieux de vie voisins.

C'est ainsi que Francis Lacoste, Directeur de la Solidarité Départementale déclarait :
« la DSD, dans son souci de diversifier les types de placement possible pour le jeune, veut éviter que ces structures différentes ne soient repérées entre elles en ordre de valeur, et mises en compétition. »

Qui l'eût cru ? Et qui le croit ? Beaucoup plus de monde qu'on ne le pense. Il semble que la naïveté des permanents de lieux de vie ait atteint des niveaux incommensurables, à moins qu'il ne s'agisse tout bêtement d'intérêts bassement matériels ? Qui sait ?

Chacun sait que la reconnaissance, c'est aussi le financement par les fonds publics, clé de l'existence du lieu, et clé d'autres effets bien indésirables ... ou désirables selon le point de vue d'où l'on se place !

Il est si évident qu'un lieu sans moyens financiers a moins à offrir matériellement qu'un lieu bien financé, qu'il paraît sans intérêt de le rappeler.

La clairvoyance, la vigilance collective des lieux a finalement été neutralisée, brisée, sans résistance insurmontable. Et la politique départementale en matière de lieux de vie, imposée sous couvert de "concertation".

Quelques lieux ont approuvé et signé les textes départementaux (les membres du parti de gauche en tête), et ont été agréés selon la procédure correspondante. Parmi les lieux, certains ont essuyé un refus d'agrément, de la part de la DSD.

D'autres lieux ont rejettés ces textes, et s'efforcent de poursuivre leurs activités d'accueil comme dans les départements où aucune reconnaissance officielle n'est en route.

Position inconfortable de ceux qui n'ont pas les faveurs de l'administration, et qui n'ont pas forcément comme but prioritaire de les obtenir.
L'essentiel pour eux, est la pratique d'une éducation qui RECHERCHE le développement de la personne et son émancipation sociale. Toute procédure administrative qui tend à asservir les acteurs de l'éducation à une politique déterminée d'avance, plus ou moins planifiée et centralisée constitue une entrave à la dignité humaine.

Ainsi, la politique départementale de la Solidarité rejette ces acteurs éducatifs dans une situation d'exclusion officielle par le biais de la "reconnaissance" ! Paradoxe ? Non : Habileté politicienne de l'administration.

Et des lieux, des organismes, par leur silence, leur peur contribuent à isoler ces lieux, devenant ainsi complices de l'administration.

L'art d'exclure sous le prétexte de reconnaître, orchestré par la Solidarité départementale.

Les écoles d'administration ne sont pas faites pour les chiens. Il faut bien qu'elles servent à quelquechose et à quelqu'un. Faute d'école, on apprend la gestion du personnel sur le tas.

La France est bien placée en matière des techniques de gestion des personnels. Combien de cadres donnent maintenant des leçons à l'Est ? Ces malheureux d'Europe orientale n'ont pas encore appris ces techniques pour gérer leurs administrés. Et vous avez vu où cette situation les a conduit ?

La technique d'avant garde, aujourd'hui, c'est l'art politique de faire adhérer l'administré au projet que le cadre a élaboré pour lui, en donnant l'impression à cet administré qu'il a participé à la décision et qu'on a tenu compte de son avis.

Ça marche ! L'administré généralement n'y voit que du feu ; il consent (consensus) et le système fonctionne sous la conduite des cadres.

On baptise le tout du mot "démocratie" et l'on fête à grand coup de fonds publiques et de slogans, le bicentenaire de la révolution française, ainsi que la déclaration des droits de l'homme.

Ainsi, des lieux de vie peuvent être de fait, des espaces éducatifs certains pour des enfants et des jeunes de plus en plus nombreux hélas, à en avoir besoin. Paradoxalement, ces mêmes lieux peuvent être considérés, en même temps, comme inadéquats aux yeux de l'appareil d'action sociale du département, selon la manière dont l'administration conçoit cet appareil.

Reconnaître l'appellation "lieux de vie" par un texte qui en transforme totalement la nature et les principes, n'est pas la garantie d'une reconnaissance réelle.

Monsieur Rocard, Premier Ministre, écrivait dans une circulaire parue au Journal Officiel du 27 mai 1988 - page 7382 :

« Il conviendra en effet, de combattre la tendance qui est celle de toute institution, lorsqu'elle a pris les dimensions de notre appareil d'Etat, à perdre la conscience des intérêts en vue desquels elle a été créée pour y substituer ses intérêts propres. »

Je vous ai pris au mot, Monsieur Rocard, pour combattre par cet écrit. Mais, combien me permettront de m'exprimer vraiment ?

Et l'on comprendra, j'espère, après ce long texte, pourquoi beaucoup de lieux de vie devraient regarder avec méfiance, l'action-recherche réalisée par le GERPLA (Groupe d'Echanges et de Recherche pour les Pratiques en lieux d'accueil).

Ce groupement de lieux de vie chargé de mission par une foule de ministères français aurait mieux fait, à mon avis, de rester indépendant.

Par delà des qualités certaines de quelques membres du GERPLA, les lieux de vie n'ont aucun intérêt à se regrouper au sein d'un organisme qui fait aujourd'hui la preuve de sa dépendance gouvernementale.

Les lieux de vie ont besoin d'une fédération indépendante du gouvernement et des pouvoirs publics quelqu'ils soient. (A l'Est, les populations découvrent l'évidence de s'organiser indépendamment pour conserver sa liberté ; pourquoi ce ne serait pas vrai à l'Ouest ?).

J'ai écris mes propos sur LES LIEUX DE VIE DES LANDES et la DÉMOCRATIE.

Je l'ai fait en simple citoyen qui aspire simplement à l'exercice de ses responsabilités sociales jusque dans son métier d'éducateur. Qui aspire à être un individu libre et maître de ses moyens d'analyse, de communication, d'action individuelle et collective.
Qui n'appartient à aucun parti visant à briguer des suffrages pour accéder aux rênes du pouvoir à quelque niveau que ce soit.

J'ai écris, enfin, en tant qu'individu qui pense que le mot "démocratie" devrait avoir valeur de pratique réelle dans les moindres recoins de tout le tissu social, au lieu de servir d'appâts pour attrapper la voix du citoyen-électeur au moment des promesses électorales, et pour ainsi faire durer les injustices sociales fondamentales.

Gérard Coulon
le 7 juin 1990.